Le monde vitivinicole français est secoué par les réactions suscitées par la publication d’une caricature méprisante à l’égard des femmes (et, on l’oublie, du caviste dessiné), dont le site Nowineisinnocent.com se fait l’écho.
Les langues se délient et témoignent de discrimination et de diverses formes de harcèlement que subissent les femmes dans le monde du vin : insultes, dénigrements, menaces, ouvertes remises en cause de leur professionnalisme. Une étudiante en recherche d’un stage peut aussi se voir refuser un poste car « vendre du vin, c’est chevaleresque ».
Le phénomène est à ce jour difficilement quantifiable, mais il éclot un peu partout dans le monde, comme l’illustre le scandale du prestigieux Court of Master Sommeliers aux Etats Unis. Le secteur vitivinicole serait-il une industrie de « mâles blancs » ?
Un secteur patriarcal et encore souvent patrilinéaire
Le secteur vitivinicole, même s’il a connu des vagues de fusions-acquisitions et l’émergence de grands groupes comme Constellation, reste très fragmenté et constitué de nombreuses petites entreprises familiales.
Dans un tel contexte, les affaires et les relations familiales sont intimement liées. Quand la question de la transmission de l’entreprise se pose, c’est souvent, naturellement et implicitement, les garçons qui reprennent l’entreprise.
La transmission de la connaissance vitivinicole au sein des familles du vin se fait aussi prioritairement vers les garçons, alors que des études montrent qu’apprendre en dehors du cercle familial, comme le feront plus fréquemment les filles, permet d’acquérir de nouvelles compétences académiques, sociales et culturelles, utiles pour innover et faire face aux aléas conjoncturels.
Les femmes accèdent pourtant aux postes à responsabilité, un peu plus dans le secteur vitivinicole que dans d’autres secteurs. Des études australiennes récentes montrent que 3% des postes de PDG sont occupés par des femmes (contre 1% dans les autres secteurs d’activité) et que 9% des exploitations vitivinicoles australiennes emploient des femmes aux postes à responsabilités liés à la viticulture et/ou à la vinification ; 10% des domaines californiens emploient une femme au poste de responsable de la vinification. Depuis le début des années 2000, plus de 40% de femmes accèdent au titre prestigieux de Master of Wine. Néanmoins, alors que 50% des étudiants en œnologie sont des étudiantes (jusque 60% dans certaines formations à la viticulture), elles sont numériquement nettement sous-représentées dans la filière et les attitudes et comportements à leur égard changent lentement.
Des success stories féminines, mais avec des effets pervers
Certaines femmes ont brisé le plafond de verre dans le secteur vitivinicole, ce qui témoigne de l’amorcement d’un changement culturel et structurel.
La féminité devient même un argument marketing, quand les vins produits par des femmes reçoivent plus de récompenses que ceux produits par des hommes, proportionnellement à leur présence dans le secteur vitivinicole ou quand des bars à vins se spécialisent dans une offre 100% « vins de femmes ».
Le genre devient parfois un moyen d’attirer l’attention et de se différencier. On ne compte plus les biographies et autres ouvrages sur les femmes du vin, qu’elles soient propriétaires de maison de Champagne, œnologue ou sommelier.
Néanmoins, ces success stories peuvent générer un biais de perception et laisser entendre que les femmes sont bien plus présentes dans la filière vitivinicole, notamment à des postes à responsabilité, qu’elles ne le sont en réalité.
Ainsi, l’image glamour des femmes œnologues ou sommeliers serait complètement décontextualisée de la réalité de l’industrie du vin et ne produirait que des effets négligeables en termes de carrière des femmes.
En particulier, cette image masque la réalité des femmes occupants des postes en force de vente, finance, marketing, administration, embouteillage et packaging, avec ou sans responsabilités managériales.
Elle masque aussi la quasi absence des femmes dans les conseils d’administrations et aux postes de pouvoir dans les différentes instances de gouvernance de la filière. Les sociologues ont d’ailleurs bien montré que, dans le monde du vin, le prestige et la réputation reposent souvent sur un forte identité masculine. Le secteur vitivinicole est donc encore très majoritairement masculin, mais les femmes progressent.
Des femmes qui façonnent le secteur vitivinicole
Historiquement, l’existence de congrégations et confréries a maintenu les femmes à l’écart des organes de gouvernance de la filière vitivinicole, de telle sorte qu’elles peuvent se retrouver isolées, avec peu de moyens à leur disposition pour porter leur parole.
En outre, les organisations professionnelles ne sont pas toujours à même de répondre à leurs demandes ou de les épauler dans leurs projets, qui peuvent différer sensiblement de ceux de leurs homologues masculins.
Dans le secteur du vin, les femmes ont donc créé leurs propres réseaux, formels, rassemblés au sein des associations Femmes de Vins ou Women Do Wine par exemple, et informels, au sein desquelles elles se définissent souvent comme partenaires et concurrentes, dans une logique de coopétition.
Ils leurs permettent de communiquer les caractéristiques de leurs vins aux consommateurs, de manière cohérente et unifiée, de partager connaissances et expériences ou d’accroître leur niveau d’internationalisation.
Si certains considèrent que ces réseaux viennent défier les organisations professionnelles traditionnelles, c’est oublier qu’en améliorant la réputation de leurs vins, ces femmes contribuent aussi à la réputation collective d’une région ou d’une appellation, et partant de l’ensemble de la filière.
D’autres discriminations
En France, le monde du vin est un monde blanc. Ailleurs, la situation commence à changer. Aux Etats Unis par exemple, les médias vitivinicoles se font l’écho du travail de viticulteurs ou de cavistes noirs. Un caviste de Boston a aussi créé une bourse d’étude afin d’inciter les étudiants noirs à s’engager dans des études vitivinicoles.
Néanmoins, comme pour les femmes, il leur faut souvent justifier bien plus que les blancs pourquoi ils sont dans ce secteur. Ailleurs dans le monde, la filière vin est en train de s’emparer des questions de diversité et d’inclusion. En France aussi, il est temps de mettre ces sujets sur la table.